الصفحة الرئيسية  أخبار وطنية

أخبار وطنية RETROSPECTIVE SUR LES EVENEMENTS DU 26 JANVIER 1978...Témoignage d’une militante de gauche Zeineb Ben Said Cherni

نشر في  26 جانفي 2022  (16:52)

Témoignage d’une militante de gauche 

Zeineb Ben Said Cherni

Le 26 janvier 1978, il y a déjà 35 ans. Ma mémoire se brouille, une image est là indélébile, celle de notre arrestation et de l’évacuation des locaux de l’UGTT à une heure tardive de la nuit, alors que nous étions encerclés par les agents de l’ordre au sein des locaux de l’UGTT, place Mohamed-Ali, durant toute une nuit que nous avions passée debout.

Khiareddine Salhi membre du bureau exécutif de l’UGTT, et qui était en discussion avec la police, reçut l’ordre de fermer la fenêtre sous peine de tir d’armes, l’armée, les BOP, les tortionnaires et la police politique étaient mobilisés pour mener l’assaut contre l’UGTT, ils pensaient qu’il y avait des armes, ils ne trouvèrent que des bâtons en bois.

Un tank, imposant était installé sur la place et la police brandissait des révolvers chargés et disposés à se déployer. Hassen Abid un vétéran de la police politique qui a mené une chasse sordide à la gauche était là. Il menait l’opération avec d’autres.

Nous sortîmes le 27 janvier, des locaux de l’UGTT, les mains en l’air, qu’allions nous devenir ? Ces moments étaient pour moi impressionnants, est -ce un rêve ou une réalité ? Un agent se saisit de mon sac à main et le jeta par terre en criant : « Que fais- tu là, cria-t-il, une femme au milieu de trois cents hommes ? »  J’ai dû me baisser sans frayeur pour ramasser les objets éjectés de mon sac, par terre. Est-ce qu’ils vont nous tirer dessus ?

 Je n’étais pas seule et pas la seule femme, dans les geôles de la DST où ils nous conduisirent et plus précisément dans la geôle numéro 1, nous nous retrouvâmes à trois, moi-même militante Perspectives –Amel Ettounsi radiée de la fonction publique pour des raisons politiques, Rafiaa Bhiri professeur d’enseignement secondaire d’arabe et Kmar dite Zeineb Hamza professeur adjoint de mathématiques et déléguée syndicale du lycée al Gorjani.

Des dizaines de femmes assumaient, à l’époque, des responsabilités au sein du syndicat de l’enseignement, et ce dans les structures des bureaux régionaux et nationaux. Elles étaient pour la plupart des militantes du mouvement étudiant de février 1972, des militantes du parti communiste et des militantes de Perspectives Amel –Ettounsi, bref des femmes de gauche. Notre arrestation dura 15 jours. Nous appréhendions la torture que je connaissais bien pour avoir déjà été arrêtée en 1974 et l’avoir subie. Mes deux compagnes sortirent avant moi. Mon incarcération a été prolongée de près d’une semaine, dans la solitude.

La situation été pesante pour moi. Mon système perceptif était obstrué par l’enfermement. Je ne percevais le monde qu’à travers une lucarne qui assurait mon appréhension du temps, elle–même réduite à un chronos cosmique où alternaient le jour et la nuit dont je n’appréhendais la différence que grâce aux rayons de soleil qui pouvaient pénétrer par la fente carrée taillée dans la porte blindée de ma cellule obscure.

J’avais peur de la démence, j’ai engagé, à la platonicienne, un dialogue de l’âme avec elle-même ; je choisissais un sujet que je traitais mentalement, activité qui me permit de détourner l’isolement et la claustration qui m’étouffaient et qui déstabilisaient mon intériorité repliée sur elle-même et soustraite à tout ce qui pouvait éveiller la dynamique des sens et de l’esprit, à savoir le rapport aux autres et à la mouvance des espaces où je pouvais me déplacer.

Je nettoyais la geôle, je coiffais mes cheveux longs avec un peigne de poche que m’a laissé Rafiaa. La journée devait s’écouler sans crainte, ni peur et surtout sans angoisses. On m’avait demandé de rédiger une lettre d’excuse et d’engagement à ne plus me mêler d’activités militantes, ce que j’ai refusé.

J’ai été surprise, à ma sortie, par le fait que les agents de police n’ont plus évoqué la question de l’engagement, ouf, ils se contentèrent de rédiger un procès -verbal et me lâchèrent.

J’avais constaté, de l’intérieur, que la police était partagée, certains étaient du côté de l’UGTT, ils nous apportaient des vivres, l’un d’entre eux m’apporta une tenue de rechange, et d’autres surveillaient le moindre changement qui pouvait advenir, dans la geôle, et qui  pouvait constituer un indice quelconque d’un rapport avec le monde extérieur, tel les épluchures d’orange ou l’emballage d’une canette de lait.

Dans les geôles d’à côté, les dirigeants syndicalistes étaient conduits aux étages supérieurs pour être torturés. Des procès se déclenchèrent dans les divers gouvernorats de la République. Le plus important fut celui de Tunis.

Trente -quatre dirigeants syndicalistes comparurent devant la Cour de la sureté de l’Etat, dont onze membres appartiennent au bureau exécutif de l’UGTT, et ce à partir du 28 septembre 1978. Les peines prononcées, contre les syndicalistes, étaient très lourdes : Habib Achour et Abderrazak Ghorbal furent condamnés à 10 ans de travaux forcés, Taieb Baccouche, à l’époque, membre du bureau exécutif a été, par exemple, condamné à six ans de travaux forcés.

Ce processus mena progressivement à l’autonomisation de la centrale syndicale qui a joué, dans le passé, et qui continue à jouer, dans le présent, un rôle politique de grande envergure.

L’UGTT ne s’est jamais astreinte à une lutte revendicative autour des salaires des travailleurs de tout bord. La centrale syndicale a été impliquée, depuis sa formation, dans une praxis d’affranchissement anti-colonialiste et véhiculait de par la configuration internationaliste où elle se positionnait une idéologie citoyenne d’égalité, de droits sociaux et de liberté revendicative et de surcroit d’expression. Le mouvement syndicaliste tunisien est une épine dorsale des luttes politiques aujourd’hui.

Ce qui le caractérise c’est que c’est un mouvement  organisé, il véhicule avec lui son histoire et ses traditions de lutte et de gestion administrative et organisationnelle, mais il constitue par ailleurs à la fois un réceptacle des rationalités et des courants d’idées progressistes et une source d’élaboration de valeurs émancipatrices associées à une visée réaliste que conditionne les luttes sociales inhérentes à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs.

 Les thèses du philosophe Castoriadis qui a eu le mérite de penser les questions syndicales sont édifiantes, à ce propos. Le syndicalisme pourrait s’investir dans le politique et générer, d’après lui, des républiques sociales.

De ce point de vue, nous pouvons dire que le syndicalisme tunisien, depuis sa naissance, a intériorisé, aux côtés des valeurs d’émancipation nationales, celles d’une anthropologie internationaliste qui fait de l’homme un produit de son travail et de son histoire, et a débarrassé les humains, hommes et femmes d’une vision discriminatoire essentialiste.

Mohamed Ali El Hammi qui préféra l’adhésion de la Confédération générale de Travailleurs Tunisiens à la troisième Internationale, a introduit les valeurs de solidarité socialiste, le corporatisme productif mais aussi les principes d’égalité et de liberté d’entreprise et de pensée. Principes reproduits par Tahar Haddad. Farhat Hached, militant pour l’indépendance engagea des luttes acerbes portées par les normes d’affranchissement, de démocratie et de justice sociale[1].

L’ère de Achour qui est celle des compromis et du jeu d’intégration des travailleurs au système, finira par mener à un dépassement de la lutte revendicative à partir de cette même lutte. Ce fut la phase des contrats sociaux, de la négociation mais aussi de la lutte pour la dignité et pour l’autonomie du syndicat consacrant, de la sorte, la structuration d’un pouvoir en commun qui se cimente de plus en plus contre la domination d’un autre monolithique et tentaculaire qui prend appui sur les cellules professionnelles et territoriales  qui consacrent sa mise en œuvre.

Le mouvement syndical renforce ce que Castoriadis appelle «la société instituante » : celle qui permet à un groupe-sujet de s’auto-construire dans un procès historique qui lui donne l’occasion de s’affranchir de l’ordre instituant théologique, métaphysique et sociétal. La praxis et son cumul renforcent non seulement le sens du réel, mais aussi le pouvoir en commun qui brisera les schèmes d’identification avec les catégories aisées.

Sous l’effet de « la contamination » de la pensée critique de la société civile, le mouvement syndical scellera des communions pour la justice et la liberté, et il organisera un mouvement de protestation généralisée, un mouvement révolutionnaire.



[1] «  Nous avons à prouver notre volonté de vivre et notre capacité à édifier les édifices pour notre essor social et ce en nous appuyant sur le socle des institutions démocratiques fondées sur la justice sociale et sur la fraternité » article de Hached , en arabe, intitulé « La lutte du peuple vaincra » , publié le 18 janvier , 1952.